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Un parcours de l’Introduction
Sections 1 et 2 :
Les penseurs privés, amis des répétitions paradoxales extraordinaires.
Section 1 :
Les vraies répétitions ne sont pas celles qu’on croit ; elles concernent nos conduites, mais quelque chose de poétique, de lyrique, d’amoureux, voire de magique, dans certaines de nos conduites ; en cela ne peuvent tomber sous des lois générales, au contraire, s’affirment contre les lois de nature et contre les lois morales. Répétitions transgressives.
Section 2 :
Kierkegaard, Nietzsche, Péguy, leur intérêt passionné pour des répétitions extraordinaires : une répétition religieuse qui devient quête ultime, et l’éternel retour, expérience ultime pour Nietzsche ; la philosophie existentielle chez ses initiateurs : un nouveau théâtre, le théâtre de la répétition contre celui de la représentation.
Sections 3 à 6 :
Théorie conceptuelle et représentative de la répétition ordinaire ; son insuffisance : découverte des répétitions dynamiques et hypothèse de l’Idée comme une des clés des répétitions dynamiques.
Section 3 :
Le concept (sa compréhension, son extension) et ses concomitants représentatifs (mémoire et conscience de soi, remémoration et recognition) selon Leibniz (la représentation infinie, option « infiniment petit » ; voir chap. 1, sect. 4) ; une seule théorie pour les répétitions de mots, pour les symétries anatomiques dans la nature, pour le retour du refoulé dans nos libres conduites : la différence comme différence conceptuelle, la répétition définie par la différence sans concept, expliquée par un blocage de la compréhension du concept.
Section 4 :
Examen plus précis du retour du refoulé, chez Freud ; une certaine répétition déguisée semble première sous la répétition nue des conduites, mais le Freud d’Au-delà du principe de plaisir n’en prend pas assez la mesure ; anticipation d’une doctrine de la répétition déguisée toujours plus profonde que et première par rapport aux répétitions nues et ordinaires qui la recouvrent ; le vocabulaire freudien, Éros et Thanatos (l’instinct de mort comme principe positif), doit être conservé, mais sa théorie modifiée ; l’aspect pratique, le « transfert », ou la cure psychanalytique comme répétition de rôles qu’elle authentifie, sera d’autant mieux compris.
Section 5 :
Examen de la reproduction d’un motif décoratif ; une répétition dynamique comme cause agissante doit être soigneusement distinguée de la répétition statique comme effet total abstrait ; par anticipation, les mots d’Idée et de « pur dynamisme créateur d’espace » sont associés à la cause agissante ;
Examen des rythmes et de la symétrie dans la nature ; on y retrouve la répétition dynamique comme cause agissante et la répétition statique comme effet total abstrait ; cela va encore dans le sens de l’Idée et des dynamismes individuants ;
Examen des répétitions de mots ; dans un contexte poétique, c’est la rime comme répétition dynamique qui est cause agissante « verticale », qui se donne à entendre sous une répétition apparente « horizontale » de mots ordinaires.
Dans tous les cas, la répétition statique est l’effet d’une répétition dynamique, et celle-ci suppose un geste qui trouve son moteur dans des signes. Le geste est réponse au signe. Le théâtre existentiel de la répétition (voir section 2) a pour éléments les signes : tout y est apprentissage et initiation par les signes.
Conclusion des examens menés dans les sections 4 et 5 :
Toute répétition ordinaire d’éléments discrets (répétition statique) a un sujet secret qui se répète à travers eux (répétition dynamique). La répétition est bien définie dans les deux cas par la différence sans concept : mais dans le cas de la répétition statique, la différence non-conceptuelle relève de l’espace et du temps, représentés comme pure extériorité ; tandis que la répétition dynamique exige un dépassement du concept par une autre instance, l’Idée, et affirme sa différence non-conceptuelle comme différence idéelle. Dans le titre du chap. 2, « La répétition pour elle-même », l’expression « pour elle-même » fait référence à la répétition dynamique comme « pour-soi » de toute répétition ordinaire. Le chap. 2 doit être conçu comme une théorie de la répétition qui prendra son départ, non dans le concept, mais justement dans une enquête sur le pour-soi, sur le sujet secret des répétitions ordinaires, et dès cette section de l’Introduction Deleuze annonce le vocabulaire des « âmes » répétitrices qu’il faudra introduire dans les profondeurs de la psyché, de l’organisme même, et de la nature dans son ensemble.
Conclusion du mouvement des sections 1 à 5 :
Trois types de répétitions : les répétitions extraordinaires transgressives, par-delà bien, mal et généralité (Kierkegaard et Nietzsche) ; les répétitions statiques ordinaires ; les répétitions dynamiques, sujets des répétitions statiques. En fait, les répétitions dynamiques sujets (qui appellent l’Idée, les dynamismes individuants, les signes et l’apprentissage) sont la clé aussi des répétitions extraordinaires religieuses et post-religieuses (qui suscitent la ferveur des penseurs privés). La répétition dynamique est motrice des répétitions extraordinaires dans des signes ou symboles, et elle se déguise dans les signes de généralité et dans les lois qui les concernent, lois de l’habitude, lois de la nature. (Comparer à PS, tout le mouvement des p. 60 à 102. Deleuze atteint déjà plusieurs aspects du néo-leibnizianisme de PS à cet endroit de l’Introduction.)
Section 6 :
L’hypothèse avancée en section 5 d’une différence non-conceptuelle qui resterait intrinsèque à une autre instance, l’Idée, est reprise et approfondie. Il faudrait une philosophie de la différence (logique et ontologie) qui concilie Kant avec Leibniz, en tenant compte des éléments dynamiques de leurs doctrines. Ces éléments sont déjà apparus en section 5 : l’Idée, les dynamismes individuants. Les dynamismes pourraient faire penser aux « schèmes » kantiens. Peut-être, mais plus profondément, les deux pôles de cette philosophie seront l’Idée (comme problème, ce qu’elle est déjà en un sens chez Kant) et l’intensité — qui chez Leibniz « opère la synthèse du continu dans le point pour engendrer l’espace du dedans ». Sont ainsi annoncés le chap. 4 sur l’Idée, « Synthèse idéelle de la différence », et le chap. 5 sur l’intensité, « Synthèse asymétrique du sensible ». Les chap. 4 et 5 constitueront une philosophie de la différence néo-leibnizienne ; ils complètent l’exposé très partiel déjà fait dans PS, et l’exposé très schématique proposé à la Société française de philosophie.
Le chap. 1 est enfin annoncé : « Ce fut peut-être le tort de la philosophie de la différence, d'Aristote à Hegel en passant par Leibniz, d'avoir confondu le concept de la différence avec une différence simplement conceptuelle, en se contentant d'inscrire la différence dans le concept en général. »
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Annexe — L’Introduction comme complexe d’annonce et d’anticipation des chapitres
Presque tous les chapitres ont été anticipés ou annoncés dans cette Introduction. Elle s’intitule « Répétition et différence », ce qui veut dire qu’elle part de gens qui s’interrogent sur la répétition, des cas qui les intéressent, et formule des hypothèses sur la philosophie de la différence, logique et ontologie, qui pourrait convenir à ces gens et aux cas qui les intéressent. Parmi ces gens, se distinguent Kierkegaard et Nietzsche, les religieux ou quasi religieux de certaines répétitions senties comme extraordinaires (répétition de la foi, éternel retour) ; et Freud, théoricien des répétitions ordinaires les plus intéressantes, celles de la vie bio-psychique. C’est dire que l’Introduction anticipe surtout le chap. 2, qui dégagera comme trois stades de la répétition, l’habitude, la mémoire, l’invention de l’avenir, et qui situera répétitions de la foi et éternel retour au troisième stade (chap. 2, sect. 1 à 3) ; cette théorie des trois stades sera utilisée pour refaire de l’intérieur la théorie freudienne de l’inconscient (chap. 2, sect. 4).
Dès la section 3, l’Introduction anticipe aussi le chap. 1 : une théorie conceptuelle et représentative de la différence est attribuée à Leibniz ; c’est un exposé vulgarisé de la représentation infinie, chap. 1, sect. 4. Les dernières phrases de l’Introduction embrayent explicitement sur le chap. 1, comme examen historique.
Le chap. 3 est annoncé par la thématique du signe et de l’apprentissage par les signes, Intro, sect. 5. Il est fait allusion aux facultés dès la vulgarisation leibnizienne de la section 3, les facultés prises dans leur usage représentatif ; mais rien n’est dit sur la possibilité d’un usage transcendant, thème le plus caractéristique du chap. 3.
Les chap. 4 et 5 sont annoncés en section 6, et même dès la section 5, dès que sont prononcés les termes « Idée », « dynamismes », « intensité ».
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