Un résumé en images du livre Mille plateaux, éd. de Minuit, 1980, par Gilles Deleuze et Félix Guattari. Chaque image numérotée correspond à une tête de chapitre, quinze chapitres en tout.
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Quinze images qui sont les lames
d’un tarot. Cela veut dire l’aide-mémoire d’une gnose, comme dans les
traditions occultes, et d’un exercice de libération.
La Terre est corsetée dans des
strates, et nous avec. La strate organique nous fait des segments anatomiques
aussi durs qu’une carapace (n°3, le
Homard). Et quand nous voulons parler, des régimes de signes collectifs et
sociaux (n°5, les Israélites) sont
comme de nouvelles strates, morales (le système du jugement), qui prennent
possession des organes phonatoires, et transmettent leurs mots d’ordre par
notre entremise (n°4, le Dr Mabuse).
Comment oser même encore dire « nous » ? Il faudra, avec
Lawrence, avec Artaud, avec Castaneda (et Malfatti, et Guaita, toute une série
de « sorciers »), atteindre aux formes astrales intensives, corps
sans organes ou d’expérimentation (n°6,
l’Œuf dogon), corps de désir, les seules parts de nous-mêmes qui peuvent
échapper aux strates, sortir du jugement. Et pour connecter entre elles ces
expériences hors strates, se servir d’Idées comme de diagrammes ou de machines
abstraites (n°15, Einstein). Tout en
se méfiant et des corps sans organes, qui peuvent aussi proliférer dans
l’astral comme des larves ou des cellules cancéreuses, et des Idées, puisque
certaines ne sont que la machine morale de l’Homme blanc en personne (n°7, les Apôtres), et donnent sa
puissance mondiale de domination au système du jugement.
Comment
procéderons-nous, à partir de nos vies quotidiennes, individuelles (n°8, Buster Brown et sa Question) et
collectives (n°9, les Hommes dans la Ville) ?
C’est tout un art des lignes de vie, une nouvelle chiromancie comme
micropolitique. Art de favoriser les lignes de fuite par rapport aux lignes
dures, segmentaires, des âges de la vie et des habitudes, et même aux lignes
souples qui circulent entre les précédentes. Car, bien qu’elles ne soient pas
sans danger, les lignes de fuite seules mènent la danse de nos aventures
spirituelles, jusqu’à ce qui mérite d’être vécu, devenirs et métamorphoses
involutives, orphiques, cela même qui peuple les contes, et que Nietzsche
atteignait dans l’Eternel Retour, répétition royale dionysiaque (n°10, le Lycanthrope). Aventures qui
réclament trois vertus : l’indiscernable, l’impersonnel, l’imperceptible.
Il y a bien des manières
d’agencer un territoire pour y vivre et pour expérimenter, déjà de nombreux
animaux le font, et nous avons beaucoup à en apprendre pour nos exercices de
libération. C’est d’abord comme une Histoire naturelle des agencements (n°11, la Machine à gazouiller) :
d’une certaine manière nous ne ferons jamais mieux que les oiseaux musiciens.
Mais puisque la forme Etat, comme grand type d’agencement humain, semble à tout
moment l’emporter et se confondre même avec l’Histoire universelle (n°13, le Piège à perdrix), il faut lui
opposer son ennemi de toujours, un tout autre type, la machine de guerre nomade
(n°12, le Char mongol), qui se
confond pour sa part avec la Contre Histoire – toujours intempestive. Tel est
l’agencement, la façon d’habiter, et de se distribuer, qui cède le moins aux
strates ; elle bombarde de ses projectiles tout ce qui ressemble à un
appareil de capture, et porte l’absolu dans le lieu, non pas en l’enfermant
dans un signe ou un temple, comme font les religions, mais en le dilatant à
l’espace : à ces espaces lisses de la Terre, océans, déserts ou steppes (n°14, le Quilt américain), que
parcourent précisément les nomades sur leurs montures.
Nous baptisons ce Tarot
« balinais », bien que les prêtres hindouistes n’y soient pour rien,
ni davantage les danseurs qui fascinaient Artaud. Un jeune anthropologue
américain, sur une île au pied d’un volcan dans les années trente, observe les
petits enfants, les adolescents, et découvre le jeu érotique et querelleur des
pures intensités, une excitation sans paroxysme, sans point culminant, une
excitation par plateaux comme mode
d’éducation. Bateson en Indonésie. Au titre de cette rencontre, qu’il
immortalise, Mille plateaux est un
livre balinais, et les images numérotées, datées, légendées qu’il inclut
prennent la relève du célèbre tarot des bohémiens : tarot des plateaux,
tarot volcanique et archipélagique, tarot balinais. Même s’il nous conduit aux
steppes et aux déserts : contrées sauvages, où les animaux, comme les
rêves, sont hostiles aux réductions psychanalytiques (n°2, les Traces de Loup) ; où les plantes, comme les livres,
courent par tiges souterraines loin de la gloriole des grands arbres (n°1, la Partition musicale).
Cela fait un choc de voir ces images en couleur... Un tarot, oui, bonne idée pour la "pop'philosophie" !
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