lundi 22 avril 2013

Mille plateaux : esquisse du Tarot balinais



Un résumé en images du livre Mille plateaux, éd. de Minuit, 1980, par Gilles Deleuze et Félix Guattari. Chaque image numérotée correspond à une tête de chapitre, quinze chapitres en tout.

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Quinze images qui sont les lames d’un tarot. Cela veut dire l’aide-mémoire d’une gnose, comme dans les traditions occultes, et d’un exercice de libération.



La Terre est corsetée dans des strates, et nous avec. La strate organique nous fait des segments anatomiques aussi durs qu’une carapace (n°3, le Homard). Et quand nous voulons parler, des régimes de signes collectifs et sociaux (n°5, les Israélites) sont comme de nouvelles strates, morales (le système du jugement), qui prennent possession des organes phonatoires, et transmettent leurs mots d’ordre par notre entremise (n°4, le Dr Mabuse). Comment oser même encore dire « nous » ? Il faudra, avec Lawrence, avec Artaud, avec Castaneda (et Malfatti, et Guaita, toute une série de « sorciers »), atteindre aux formes astrales intensives, corps sans organes ou d’expérimentation (n°6, l’Œuf dogon), corps de désir, les seules parts de nous-mêmes qui peuvent échapper aux strates, sortir du jugement. Et pour connecter entre elles ces expériences hors strates, se servir d’Idées comme de diagrammes ou de machines abstraites (n°15, Einstein). Tout en se méfiant et des corps sans organes, qui peuvent aussi proliférer dans l’astral comme des larves ou des cellules cancéreuses, et des Idées, puisque certaines ne sont que la machine morale de l’Homme blanc en personne (n°7, les Apôtres), et donnent sa puissance mondiale de domination au système du jugement.



            Comment procéderons-nous, à partir de nos vies quotidiennes, individuelles (n°8, Buster Brown et sa Question) et collectives (n°9, les Hommes dans la Ville) ? C’est tout un art des lignes de vie, une nouvelle chiromancie comme micropolitique. Art de favoriser les lignes de fuite par rapport aux lignes dures, segmentaires, des âges de la vie et des habitudes, et même aux lignes souples qui circulent entre les précédentes. Car, bien qu’elles ne soient pas sans danger, les lignes de fuite seules mènent la danse de nos aventures spirituelles, jusqu’à ce qui mérite d’être vécu, devenirs et métamorphoses involutives, orphiques, cela même qui peuple les contes, et que Nietzsche atteignait dans l’Eternel Retour, répétition royale dionysiaque (n°10, le Lycanthrope). Aventures qui réclament trois vertus : l’indiscernable, l’impersonnel, l’imperceptible.


Il y a bien des manières d’agencer un territoire pour y vivre et pour expérimenter, déjà de nombreux animaux le font, et nous avons beaucoup à en apprendre pour nos exercices de libération. C’est d’abord comme une Histoire naturelle des agencements (n°11, la Machine à gazouiller) : d’une certaine manière nous ne ferons jamais mieux que les oiseaux musiciens. Mais puisque la forme Etat, comme grand type d’agencement humain, semble à tout moment l’emporter et se confondre même avec l’Histoire universelle (n°13, le Piège à perdrix), il faut lui opposer son ennemi de toujours, un tout autre type, la machine de guerre nomade (n°12, le Char mongol), qui se confond pour sa part avec la Contre Histoire – toujours intempestive. Tel est l’agencement, la façon d’habiter, et de se distribuer, qui cède le moins aux strates ; elle bombarde de ses projectiles tout ce qui ressemble à un appareil de capture, et porte l’absolu dans le lieu, non pas en l’enfermant dans un signe ou un temple, comme font les religions, mais en le dilatant à l’espace : à ces espaces lisses de la Terre, océans, déserts ou steppes (n°14, le Quilt américain), que parcourent précisément les nomades sur leurs montures.



Nous baptisons ce Tarot « balinais », bien que les prêtres hindouistes n’y soient pour rien, ni davantage les danseurs qui fascinaient Artaud. Un jeune anthropologue américain, sur une île au pied d’un volcan dans les années trente, observe les petits enfants, les adolescents, et découvre le jeu érotique et querelleur des pures intensités, une excitation sans paroxysme, sans point culminant, une excitation par plateaux comme mode d’éducation. Bateson en Indonésie. Au titre de cette rencontre, qu’il immortalise, Mille plateaux est un livre balinais, et les images numérotées, datées, légendées qu’il inclut prennent la relève du célèbre tarot des bohémiens : tarot des plateaux, tarot volcanique et archipélagique, tarot balinais. Même s’il nous conduit aux steppes et aux déserts : contrées sauvages, où les animaux, comme les rêves, sont hostiles aux réductions psychanalytiques (n°2, les Traces de Loup) ; où les plantes, comme les livres, courent par tiges souterraines loin de la gloriole des grands arbres (n°1, la Partition musicale). 



1 commentaire:

  1. Cela fait un choc de voir ces images en couleur... Un tarot, oui, bonne idée pour la "pop'philosophie" !

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