Et puis un jour, on croit sentir
le personnage, celui qui parle, si peu loquace, à la limite de la catatonie.
« Et le chevalier du roman courtois, peut-on dire si sa catatonie vient de
ce qu’il est au fond du trou noir, ou de ce qu’il chevauche déjà les particules
qui l’en font sortir pour un nouveau voyage ? Lawrence, qui fut comparé à
Lancelot, écrit : « Etre seul, sans esprit, sans mémoire, près de la
mer. (…) Aussi seul et absent et présent qu’un indigène, brun noir sur le sable
ensoleillé. (…) Loin, très loin, comme s’il avait touché terre sur une autre
planète, comme un homme prenant pied après la mort. (…) Le paysage ? Il se moquait du
paysage. (…) L’humanité ? N’existait pas. La pensée ? tombée comme
pierre dans l’eau. L’immense, le chatoyant passé ? Appauvri et usé, frêle,
frêle et translucide écaille rejetée sur la plage. » » (Mille plateaux, p. 232)
Ce chevalier libéré du visage et
du paysage atteint le bout de sa quête quand il rejoint ainsi, à sa manière,
l’absolu des nomades, celui des peuples éleveurs et guerriers. Car c’est cela,
l’espace lisse : « l’absolu n’apparaît pas dans le lieu, mais se
confond avec le lieu non limité. (…) Il y a chez les nomades un sens de
l’absolu, mais singulièrement athée. » (p. 475) La 4ème de
couverture de Mille plateaux est
écrite du point de vue de cet absolu. Dans cet état, ni le chevalier ni le
nomade ne sont capables de longs discours. Tout est raréfié et pourtant très
intense. Ils font le compte de ce qu’il y a d’important. L’espace lisse, Nomos : l’absolu non pas en personne, mais en
espace précisément, atteint peut-être au terme de toute une quête, pas facile
du tout. Le corps d’expérimentation,
que mages et sorciers qualifient d’astral,
tout-à-fait autre chose que l’organisme. Les meutes animales, les tiges
souterraines. On dirait qu’il ne se passe rien, et c’est là que les
métamorphoses orphiques s’accomplissent, les
devenirs, leurs intensités. Une
extase d’éternel retour ?
Puis ce triple personnage chevalier-nomade-sorcier revient à lui,
ou bien c’est nous qui le voyons de l’extérieur, dans son rapport au
territoire, aux signes qui l’y fixent et qui l’en font sortir, notamment mots
d’ordre et mots de passe du langage, notamment ritournelles musicales, du
folklore à la transe cosmique. Et nous mesurons alors toute la différence entre
les meilleurs agencements, de type machines
de guerre, qui nous donnent l’absolu local et les pires, de type appareils d’Etat, qui nous en privent le
plus certainement.
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